Des économistes aux hommes d’affaires, l’économie numérique est au centre des préoccupations pour permettre aux entreprises d’affronter sereinement les défis actuels et futurs. Un quotidien d’information économique et financière a ainsi publié l’analyse de Bernard Guilhon, professeur d’économie à Skema Business School, sur le sujet. Selon cet expert, il faut surtout prêter attention aux diverses transformations liées à ce phénomène.
En principe, l’innovation présuppose l’apparition d’une nouveauté. Toutefois, la nouveauté en soi ne représente pas l’innovation. L’enjeu réside dans sa capacité à modifier les pratiques antérieures et à générer des résultats inédits. Ainsi, l’innovation attribuée à l’économie numérique devrait essentiellement reposer sur les transformations se produisant au niveau des pratiques sociales.
L’innovation du numérique est avant tout immatérielle. Les plateformes et les grandes entreprises sont par ailleurs les foyers des écosystèmes numériques. L’univers économique et social se retrouvera ainsi affecté en profondeur par ce phénomène.
D’autre part, la définition même de l’innovation est remise en question par cet univers favorable à la logique combinatoire, à la reproduction avec variantes, etc.
Avec l’évolution de la technologie, les fonctions cognitives ont eu tendance à s’externaliser. Les entreprises commencent donc à déléguer diverses tâches aux réseaux évolutifs qu’elles ont mis en place. Ces systèmes sont notamment définis par leur capacité d’apprentissage. En gagnant en autonomie, ces dispositifs finissent par décider à la place des responsables. Grâce à l’IA (intelligence artificielle), ces machines peuvent désormais analyser des textes juridiques, établir des diagnostics médicaux, etc.
Autrement dit, le fonctionnement des entreprises est en pleine transformation. Même s’il n’est pas évident d’anticiper les tâches et les emplois menacés par l’IA, cette technologie est en train de réinventer les chaînes de valeur et de développer les modèles économiques du futur.
Les partenariats taylorisés sont désormais remplacés par des consortiums soutenus par des écosystèmes dynamiques visant à instaurer diverses normes et à optimiser la gestion des données.
Dorénavant, il sera impossible d’éviter les retombées de la segmentation du travail. Les salariés qualifiés sont souvent protégés par des accords collectifs, mais les « gig workers » (travailleurs à la demande) seront plus exposés.
En effet, des algorithmes définissent les tâches qu’ils sont supposés accomplir. De ce fait, ils n’auront plus de véritables interlocuteurs, augmentant ainsi les écarts juridiques avec l’employeur et rendant le mécanisme encore plus opaque.
Parallèlement à cette réorganisation du monde du travail, les liens sociaux commencent également à se transformer. En effet, la communauté de proximité géographique devient désormais topologique. Le voisinage se redéfinit donc par l’affinité et l’appartenance à un même réseau. Par exemple, Facebook permet de trier les contenus pour s’adapter aux profils de l’utilisateur, permettant ainsi d’effectuer un alignement idéologique.
Concrètement, le propriétaire du compte Facebook sera surtout amené à communiquer avec les utilisateurs partageant ses opinions et présentant davantage d’affinité avec son profil. Au final, ce système de filtrage permettra de favoriser la formation d’isolats sociaux et de liens d’allégeance néoféodale, comme le souligne P. Musso.
En étendant son système de distribution, Amazon a notamment développé une flotte automobile et une flotte aérienne propre à l’entreprise. Ces initiatives s’inscrivent dans sa démarche visant à évoluer sur plusieurs marchés, incluant les livres, le streaming, les produits artisanaux et récemment les produits alimentaires, à travers Whole Foods.
Selon le professeur Bernard Guilhon, cette politique du géant américain s’explique par le fait que :
« Les capacités d’extraction de la valeur ne sont pas transférables entre les entreprises parce qu’elles constituent des ressources spécifiques et accentuent la concurrence sur les marchés ».
Bernard Guilhon
Dans ce contexte, les innovateurs ont progressivement appris à associer des modules issus de nombreux domaines pour se démarquer. Les outils numériques sont en effet déspécialisés et cristallisent un capital technologique de différentes origines. Waze, par exemple, a créé ses services en se basant sur un système GPS, un réseau social et un mécanisme de transmission des données.
Toutefois, l’entreprise n’a créé aucune de ces technologies. Elle s’est contentée de combiner les modules à sa disposition et de proposer de nouveaux services sur cette base. Néanmoins, le concept issu de ce procédé se révèle original et les consommateurs y trouvent leur compte. Ainsi, la contrainte économique du futur consiste à trouver une combinaison prometteuse parmi toutes les configurations technologiques possibles.
Comme le soulignent Kenney et Zysman dans Choosing a future in the Platform Economy :
« Tout élément numérisé est susceptible de produire des informations et il est possible de construire des « services avec tout » ».
Aujourd’hui, les données disponibles en ligne sont considérables et touchent presque tous les domaines (production, consommation, transport, culture, loisir, etc.). Une fois organisées et traitées, elles représentent un actif économique inestimable.
Toutefois, leur valeur dépend foncièrement des ressources de l’entreprise sur le plan numérique. Ce paramètre permettra entre autres de reconnaître les schémas récurrents pour concevoir une stratégie de ciblage, d’identifier les profils et de prévoir les actions les plus adaptées, etc.